Artiste
Né à Paris en 1950.
Vit et travaille en France.
Contact
http://www.umbdenstock.com
Oeuvres uniques
Technique favorite
Soufflage
Thermoformage
|
Croisière
de rêves
Des rapports entre le verre et l’écriture, l’artiste-chercheur,
Jean-Pierre Umbdenstock déduit l’essence de son
travail de sculpteur depuis plusieurs années. Il a
signé en 2003 « Crossover », une exposition
au Musée du Verre de Sars-Poteries, fruit d’une
résidence de deux mois dans l’atelier. Mise en
scène comme une pièce de théâtre,
elle invite à la rêverie, l’un de ses terrains
de jeu favori, dont la pratique est, selon l’artiste,
la chose la plus rigoureuse qui soit.
Devant le public invité à l’atelier de
Sars-Poteries pour la traditionnelle rencontre avec l’artiste
en résidence, Jean-Pierre Umbdenstock exécute
rituellement ce qu’il appelle un « Hyalogramme
». Sur une feuille de papier de luxe mouillée,
il fait couler à l’aveugle un fil de verre en
fusion cueilli dans le four. Le verre enlevé, il ne
reste de l’expérience que le motif abstrait laissé
par la brûlure. « Ces hyalogrammes, commente Jean-Pierre,
du Grec hualos, verre et gramma, écriture, sont l’essence
de l’exposition. Ils sont issus d’un jeu que je
destine aux enfants des écoles pour leur montrer comment
se comporte le verre chaud. Je laisse tomber un fil en fusion
sur le sol devant eux. Ils me disent : « M’sieur,
on dirait des écritures ». J’ai voulu conserver
une trace de ce moment. C’est très simple, mais
de nombreux paramètres interviennent : gestuel, gravitation,
température, viscosité... On reconnaît
les hyalogrammes de chacun, à l’instar d’une
écriture manuelle ».
Vetro Povera
Tout est dit : l’empreinte, l’écriture,
le verre, la technique dématérialisée,
un univers que Jean-Pierre explore depuis plus de vingt ans.
C’est d’ailleurs dans l’ancien atelier de
Sars-Poteries, fondé par son ami et complice Louis
Mériaux, aujourd’hui disparu, qu’il commence
à souffler en 1979. Ce petit village d’irréductibles
verriers n’a donc pas de secrets pour lui et l’occasion,
en novembre 2002, de passer deux mois de résidence
d’artiste dans ce lieu mythique constitue pour lui une
expérience magistrale. Jean-Pierre Umbdenstock opte
dès le départ pour une stratégie à
la fois contraignante et libre : partir d’un projet
précis et détaillé, qui peut être
remis en question à tout moment avec, comme seul arbitre,
le plaisir du faire. Une fois le dossier adopté par
le Musée-Atelier, l’artiste confie sa liste d’emplettes
à Fabrice Bon, directeur technique de l’Atelier.
Il s’installe alors pour écrire « Cent
Titres », une grande fable animée par des personnages
hauts en couleur. S’y côtoient de vils marchands
grecs, des pirates ou des écrivains, tous impliqués
par la quête du verre originel. Ainsi naît le
canular de la rognure, autre thème fondateur de l’exposition.
« Au début, raconte Jean-Pierre Umbdenstock,
j’ai imaginé une histoire fictive rigoureusement
étayée. À Thèbes, en Grèce,
on retrouve 22 morceaux de verre que l’on date du 15e
avant J-C. Pour la plupart, ce sont des rognures de soufflage.
À l’époque, faire des objets utilitaires
ne servait qu’à produire ces précieux
déchets. Dans cette époque imaginaire, certains
commerçants opportunistes s’étaient emparé
du déchet de la rognure, de belles pièces en
verre soufflé, pour les vendre et l’histoire
du verre en a été transformée ».
613 flammes, rognures de soufflage de la série ombres,
sont donc fabriquées au début de la résidence
avec toute l’attention vouée à leur rang.
Un vibrant hommage leur est rendu dans le texte « Cent
Titres » accompagnant l’exposition : « Demandez
aux enfants qui visitent une verrerie où se trouve
le véritable intérêt, le souvenir qu’ils
souhaitent en ramener ? Dans les poubelles ! » Pour
accéder au trésor que constituent les flammes,
il faut décoder un jeu d’anagrammes à
l’image de celui du titre d’une des œuvres,
« Écrins à Chimère A » (solution
réservée aux lecteurs de Verre : Machines à
écrire).
Hissez haut !
« Cette période de verbalisation m’a permis
de décanter et de fixer mes idées, évoque
Jean-Pierre. Au début, je ne voulais pas choisir entre
le texte et le travail du matériau ». Écrire,
c’est bien, mais faire, c’est mieux. L’appel
des fours ne tarde pas à tarauder ce rêveur professionnel.
Dans un coin de l’atelier, les cannes attendent sagement
et attendront encore longtemps, car c’est vers la grande
unité de thermoformage que se dirige l’artiste.
Trahison ultime pour ce souffleur émérite qui,
des Cornucopias aux Encriers, a bouleversé l’univers
des formes faites à la bouche. « Le verre soufflé
est devenu trop compliqué à mettre en œuvre,
explique-t-il. D’une part à cause de la fatigue,
mais également parce qu’il implique la notion
de contenant dont je veux me libérer. J’admire
les virtuoses du soufflage, mais je n’en ai jamais été
un. D’autre part, une résidence est le moment
idéal pour explorer d’autres techniques ».
Pour voyager dans cette résidence, il faut un véhicule.
Jean-Pierre décide d’armer une flotte invincible
et majestueuse, la série des Voiles thermoformées,
dont certaines mesurent plus d’un mètre cinquante
de haut ! Un chantier long et fastidieux, surtout pour les
finitions, qui doivent être réalisées
à la main, car aucune machine n’est assez grande
pour traiter de telles surfaces. Bientôt, l’armada
s’engage à la poursuite du trésor des
rognures. L’une d’entre elles est noire, en hommage
au vilain petit canard. « Le simple est aussi beau que
le compliqué, dit-il. Le résultat de la résidence
peut relever de la Bande Dessinée, quelque part entre
« l’Ile au Trésor » de Stevenson
ou le « Trésor de Rackam le Rouge » de
Tintin. Mais les voiles peuvent évoquer autre chose
qu’un bateau ou un aileron de requin et les rognures
d’autres émotions qu’un trésor de
pirate. Chacun peut y trouver son compte ». Tintin,
Corto Maltese, Long-John-Silver tiennent donc la barre de
ce qu’il nomme sa « rêverie-randonnée-résidence
». Un jeu de rôle néanmoins techniquement
délicat, puisqu’en cours de route, deux des sept
bâtiments de cette armada chimérique se brisent
et coulent.
Langue de verre
Où est donc passé « l’écriveur
de critures », l’Umbdenstock qui passait des heures
à découvrir l’émail noir dont il
avait recouvert ses pièces avec une écriture
iconoclaste exécutée rituellement à la
pointe du stylet ? Symboles, caractères antiques, signes
mathématiques ou graffitis constituent toujours l’essentiel
de son vocabulaire, mais désormais cette dentelle magique
est digérée dans le ventre translucide des œuvres.
« Cette écriture, commente Jean-Pierre, existe
depuis mes premières pièces. Aujourd’hui,
je n’ai plus besoin du prétexte de dévoiler,
je la réalise en transparence et l’ombre projetée
par la lumière la révèle. Pour cette
résidence, je me suis inspiré du personnage
étrange et bossu du film « Au Nom de la Rose
», qui parle plusieurs langues mélangées,
mais que l’on comprend quand même. Nouveauté
: le travail sur papier. Cet été, j’ai
passé beaucoup de temps à gribouiller, de plus
en plus petit, en positif et à l’encre de Chine.
Cette tâche m’a passionnée ».
Multimédias
Fréquent paradoxe bénéfique des résidences
de Sars-Poteries, elles permettent aux artistes d’explorer
d’autres matériaux que le verre ! Ainsi, la dernière
série de Crossover, les stèles, a conduit Jean-Pierre
à adopter la terre cuite. « Au début,
j’ai commencé par concevoir et graver des moules
en terre pour thermoformer le verre. En les voyant, je me
suis dit : je vais les cuire, les garder et les exposer. Un
peu plus tard, je me suis intéressé à
la porcelaine. Fabrice Bon, directeur de l’atelier du
verre, n’a pas hésité à m’en
fournir. Je ne me sens plus attaché à un matériau
unique, le verre, et la résidence me l’a encore
prouvé ».
Nouvelle trahison ? Pas vraiment. Jean-Pierre, qui a toujours
été un fédérateur des multiples
activités tournant autour du verre, repart sur la route
de la silice fondue. Un programme d’insertion par le
travail artistique du verre recyclé est démarré
en Corse ainsi qu’une série de workshops au Glass
Furnace d’Istamboul. Tout cela entre ses quatre expositions
en France. Crossover marque donc un passage capital et jubilatoire
dans l’évolution d’un artiste qui semble
avoir mis de côté doutes et hésitations
pour faire remonter en surface le « plaisir du faire
». « J’ai tenté, écrit-il
dans Cent Titres, de produire un art transversal et ludique
qui résulte à la fois d’une pensée,
d’une certaine spontanéité, du plaisir
du faire et des qualités d’une matière
en me gardant de ses effets faciles ». Ecce vitrum…
Artist-investigator and organizer, Jean-Pierre Umbdenstock
explore the relationship between writing and glassmaking since
more than twenty years. Crossover, his exhibition at the Musée
du Verre de Sars-Poteries in northern France is the result
of a two months artist residence in the workshop. Daydreaming
- one of his favourite theme - is experimented through a large
serie of new pieces including works on paper or on clay. The
artist has founded this crossover upon « Cent Titres
», a short text where fiction, philosophy and tales
are mixed together.
Par : T.B.
Source : VERRE, volume 9, N°2. Avril 2003.
Galerie
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