Artiste
Sculpteur verrier français né à
Bucarest, Roumanie en 1941.
Vit et travaille en France depuis 1981.
Études aux Beaux-Arts à l’Institut
Grigorescu de Bucarest.
Contact
Matei Negreanu
4, rue de la Poste
41600 Lamotte-Beuvron.
Activité
Sculpture
Techniques favorites
Moulage
Taille
Techniques diverses
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Galerie
photos
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Matei
Negreanu, le risque et la rigueur
En quinze ans, Matei Negreanu est entré dans le peloton
de tête des artistes verriers internationaux. Discret,
inattendu, ce Français d’origine roumaine ne
fait aucune concession à son art. Ses récentes
pièces, achetées par des collectionneurs d’art
contemporain, confirment son statut de sculpteur. Au cœur
de son atelier, Matei nous raconte sa course à la maîtrise
du vide et de la transparence, une exploration intime des
secrets du verre.
Lamotte-Beuvron, village-rue noyé dans la Sologne.
La maison de Matei, enchâssée dans le centre
ville rythmé par la brique rouge, respire l’ordre.
Conçues par un architecte fervent des angles et des
recoins, les pièces à vivre s’organisent
autour d’un l’atelier baigné de lumière
zénithale. Peu d’ombres, le gris pastel profite
au verre des pièces en gestation. Matei Negreanu, vêtu
de noir, se déplace comme un chat. On a souvent décrit
son regard bleu clair, sa stature sereine et forte, son accent
roulant. Aujourd’hui, sa douceur en impose, son verbe
se fait plus poétique, il semble animé d’une
patience inébranlable.
Désirs de sculpteur
Parfaitement alignée sur des socles en bois, la récente
série des sculptures “Maisons” attend un
prochain départ. Le verre optique de ces cubes, taillé
en saccades géométriques, parfois brisé
et tendre comme de la chair, multiplie les histoires. “Je
m’intéresse, explique Matei, à l’impact
produit entre la rigueur des surfaces et les cassures infligées
au marteau et au burin. La pureté du verre s’efface
devant la rigueur de la construction. Rien n’est laissé
au hasard. Je veux dominer complètement le verre, pour
revenir à mes premiers désirs de sculpteur,
en sortant des Beaux-Arts”. Le Negreanu des “Maisons”
provoque l’émotion avec un minimum d’effets
spéciaux. Aucun angle de vue ne procure la même
sensation, pourtant la cohérence est maître d’œuvre.
Clarté et contrastes d’états de matières
: les “Maisons” racontent l’espoir de la
liberté. Il aura fallu plusieurs décennies à
l’artiste pour rejoindre l’évidence intime
du verre dont il maîtrise aujourd’hui l’immatérialité.
Non loin de là, d’autres pièces récentes
délivrent une autre histoire. Quelques malins rubans
de plomb sertissent des bulles de verre soufflé oblongues
ou sphériques. Ligatures métalliques d’un
verre lisse et docile, puisqu’il s’agit de pièces
industrielles utilisées en chimie. Ici, le verre joue
le rôle du vide. Non pas celui d’Henry Moore,
décrété, ludique, plutôt un vide
mental : une cellule de prison, une douleur intense. Matei
rassure : “J’ai été fortement impressionné
par un cimetière de bateaux situé en Bretagne.
Ces ossatures métalliques me rendent fou, ce n’est
pas un endroit triste”.
Nationalité : artiste
L’œuvre de Matei évoque la brasse coulée
: une mesure en apnée, une autre à l’air
libre. Il ne cherche pas, comme d’autres, à justifier
son inspiration par son histoire personnelle ou des discours
poétiques bien réglés. Au fil de l’entretien,
on cherche la douleur d’un exil de Roumanie, et l’on
découvre un cimetière de bateaux bretons. Géométrie
oblige, on s’attend à l’influence des Constructivistes
et l’on entend l’éloge de Bacon, Absalon
ou Pagès. Son art est universel, comme les passions
et les douleurs. Rapidement, Matei déroute l’interlocuteur
avide de clichés exotiques. “Le pays d’un
individu est avant tout celui dans lequel il se forme. Dès
mon arrivée à Paris, en 1981, je marchais chez
moi. Mon âme est toujours en Roumanie, mais je ne comprends
pas les émigrés qui pleurent sur leurs racines
alors qu’il ont la possibilité de retourner chez
eux. J’aime cette phrase : “Tout le monde a deux
pays, le sien et la France”.
Père d’origine paysanne, devenu industriel, disparu
prématurément d’un accident brutal, mère
bourgeoise, orthodoxe et citadine, Matei Negreanu étudie
les Beaux-Arts à Bucarest après un passage marquant
à l’usine où il apprend la métallurgie
et le design industriel. Centré sur le verre, il est
également styliste et peintre. Il évolue rapidement
dans le milieu artistique roumain, peu à peu muselé
et contrôlé par le drôle de pouvoir exercé
par Ceausescu. Après la disparition de sa mère,
Matei sent que plus rien de concret ne le rattache à
la Roumanie, de plus en plus figée dans la torpeur
d’une dictature sournoise. En 1981, à quarante
ans, il change radicalement de vie et prend le train pour
la France à laquelle il demande asile.
Le sommet de la vague
Matei Negreanu ne parle pas français, ne dispose ni
de pécule, ni de relations. Unique possibilité
: convaincre à tout prix, d’un trait de crayon.
En 1983, Matei travaille à la Verrerie artistique de
Portieux en collaboration avec Jean-Paul Van Lith et Monica
Damian. Ses formes libres explosent, relayées par le
trait ou la peinture. Rapidement remarqué par Jean-Luc
Olivié, Conservateur du Centre du Verre du Musée
des Arts Décoratifs, par la Galerie d’Amon et
la Galerie Capazza, il affine peu à peu sa maîtrise
du mouvement. Après la faillite de la fabrique en 1984,
Matei Negreanu s’installe dans un petit appartement
parisien. Ne disposant que de très peu d’outils
personnels, il utilise une technique qui sera souvent imitée
: le verre plat cassé, collé, puis sablé.
Après quelques pièces dont un mobilier de verre
surprenant, l’artiste se met soudain à faire
des vagues.
Une série culte. Envols de tranches de verre sablées,
lyriques et spatiales. Les “Vagues” seront la
marque de Matei dans le verre français des années
80, époque de création débridée
et d’effervescence. Coup d’envoi également
de sa carrière internationale, les “Vagues”
sont alors l’objet de multiples discours. “Le
collage aux UV apparu à l’époque, se souvient
Matei, a permis une foule d’innovations. Le jeu dans
l’espace des Vagues constituait pour moi une écriture,
une calligraphie, un mouvement lié à l’ondulation
organique des plantes alors que beaucoup pensaient que je
ne faisais qu’exprimer la dynamique d’un matériau.
J’ai cultivé cette ambiguïté et personne
ne s’est aperçu qu’il s’agissait
en fait de constructions extrêmement élaborées”.
Du plomb dans le verre
Matei laisse déjà aux observateurs le soin de
commenter son travail. À peine son succès reconnu,
il va dérouter cet auditoire rassuré, passant
de l’arabesque rythmique au choc du marteau. Quelques
blocs de verre optique Corning subissent alors l’assaut
du burin, livrant leurs brisures vives, de belles plaies qui
saignent de lumière. Matei s’engage dans l’affrontement
direct, la mort subite, le ravissement du chaos. Troublé
par ce corps à corps, le sculpteur fait également
appel à la couleur et au métal, des bandes de
plomb chipées à la tradition du vitrail. “J’en
avais besoin, dit-il, pour souligner ou dynamiser le mouvement.
Il fallait arrêter le regard juste un instant”.
Peur de l’aléatoire, syndrome du diamantaire
qui manque son coup ?
Ces blocs à vifs annoncent la crise du début
des années 90 et la fin d’une forme de création
débridée. En intégrant du plomb dans
des blocs cassés à la masse, Matei surprend
les galeristes tentés de surfer trop longtemps sur
les rassurantes “Vagues”. Seule Clara Scremini
saisit l’appel du sculpteur. “Quand j’ai
sorti le verre au plomb, explique Matei, Clara m’a dit
: faisons une exposition... dans deux ans à la Clara
Scremini Gallery. J’ai alors continué à
travailler dans cette voie malgré les propositions
alléchantes de six autres galeries”. Matei préserve
cette relation stimulante avec des galeristes qui le font
évoluer. C’est peut-être une des clés
de sa carrière en constante progression. Un nouveau
public s’ouvre à lui. Lors de la présentation
des sphères à la Foire de Strasbourg, en mars
dernier avec la Galerie Internationale du Verre à Biot,
les acheteurs n’étaient pas uniquement collectionneurs
de verre, mais clients d’art contemporain. Matei négocie
en toute sérénité ce passage à
l’art que bien peu de verriers réussissent. “L’art
n’est pas à la portée de tout le monde,
dit-il, il faut une préparation pour l’aborder
et le comprendre. Quand je regarde mon travail, j’y
vois une évolution de la sculpture décorative,
les Vagues, à la sculpture tout court”.
Plénitude et sagesse
Aujourd’hui, les pièces au plomb sont devenues,
à leur tour, des classiques et trouvent leur aboutissement
dans les récentes “Sphères”. Mais
Matei Negreanu a déjà engagé un nouveau
discours dans les “Maisons”, où la géométrie
taillée à la scie diamantée exacerbe
les brisures du marteau. Cette fois, plus ou très peu
de plomb ni de couleurs. Le sculpteur frôle cette maîtrise
du verre tant recherchée : “La pureté
du verre s’efface devant la construction, explique Matei,
Pour ces pièces, j’ai choisi une dimension standard,
des outils sans artifices : scie diamantée, marteau,
burin”. Présentées en mai dernier à
la Clara Scremini Gallery, les “Maisons” traduisent
cette plénitude plastique qui ne s’encombre pas
d’artifices. Une étape majeure que l’on
retrouve souvent dans la vie d’un artiste, l’instant
où il se déshabille de tout ce qui a fait son
succès et se délecte de ses passions. “Aujourd’hui,
explique-t-il, j’ai envie d’employer de moins
en moins d’artifices pour exprimer des choses de plus
en plus fortes”.
Danse avec le verre
Ces instants délicats de création, où
la scie et le marteau entament le verre, ressemblent à
une danse : aucune erreur n’est permise. Matei a su
entretenir ce risque en renouvelant à chaque fois son
vocabulaire plastique. Mais l’émotion est intacte,
fraîche comme au premier jour. Matei sculpte avec son
corps entier.
“Je tourne autour de ma sculpture. J’ai besoin
qu’elle ne tombe pas, même si on la couche. Il
faut qu’elle ait une logique interne. Que je puisse
vivre avec. Qu’elle ne m’accroche pas quand je
la regarde furtivement en passant. J’arrête de
travailler quand je sens qu’il n’y a plus rien
à modifier ou à retrancher. Je suis incapable
d’aller plus loin”.
Et le verre lui répond, car il sait qu’il pose
pour l’éternité.
Source : Verre, Volume 2, N°5, octobre 1996.
Matei Negreanu, parcours Artiste membre de l’Union des Artistes
de Roumanie, il quitte son pays natal secoué par la crise
politique en 1980 et s’exile vers la France à trente-neuf
ans. Installé en Sologne, il réalise des sculptures de verre
immédiatement remarquées par le milieu français du verre créatif
(galerie Capazza, Nancay, 1985, Atelier d’Amon, Paris, 1988).
Il participe dans toute l’Europe aux plus grandes expositions
collectives. À cette époque, Matei Negreanu travaille les
“Vagues”, empilements torsadés de verre collé et sablé qui
marquent le verre créatif du milieu des années 80. En 1989,
tournant de sa carrière, il expose galerie Clara Scremini
à Paris une toute autre production intégrant le plomb. Son
œuvre est médiatisée et touche un public large. La suite de
son parcours l’entraîne à Amsterdam, Francfort, New York,
Chicago, Toronto, Sapporo, Tokyo, Mexico... Il expose régulièrement
en France (Verriales organisées chaque été par la Galerie
Internationale du Verre de Biot, Alpes-Maritimes). En 1995,
il participe à Couleurs et Transparence (Sèvres et Dunkerque)
et réalise une série rythmée de Vagues galerie Éclat du Verre
(Paris). En 1996, il expose les “Maisons” à la Clara Scremini
Gallery et les “Sphères” à la Foire d’Art Contemporain de
Strasbourg (présenté par la Galerie Internationale du Verre
à Biot). Ses œuvres font partie des plus importantes collections
publiques mondiales dont celles des Musées des Arts Décoratifs
de Paris, Bordeaux, Athènes, Bucarest, Lausanne. Aujourd’hui,
Matei Negreanu expose régulièrement des pièces mixed-médias
dans lesquelles le verre est associé à d’autres textures :
bois laqué noir, velours rouge. Chaque année, il présente
ses œuvres récentes durant les Verriales à la Galerie Internationale
du verre à Biot (Alpes-Maritimes).
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