Artiste
1921-2002
Né en 1921 à Sezemice (République
Tchèque).
A vécu et travaillé en République
Tchèque avec sa compagne Jaroslava Brychtova.
Contact
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Sculpture
Architecture
Technique favorite
Verre moulé
|
Libensky
for ever
Stanislav Libensky, l’un des grands maîtres du
verre contemporain, vient de disparaître. Depuis les
années 50, avec sa femme Jaroslava Brychtova il a créé
l’école tchécoslovaque, menant à
la fois une carrière artistique internationale et une
activité de promoteur et de formateur de ce mouvement
qui a dû se battre pour accéder à la scène
internationale. Une saga artistique, humaine et politique.
Professeur Libensky ? Un art élevé de sommets
en sommets, des pièces présentes dans la plupart
des musées internationaux, de nombreux élèves
figurant aujourd’hui parmi les grands artistes du verre,
une notoriété internationale. À 81 ans,
un bilan radical : avant lui, le verre de Bohème artisanal
se figeait dans l’apparatchik communiste. Aujourd’hui,
l’école de l’Est est reconnue dans le monde
entier.
Fils de forgeron de Bohême qui pensait à quinze
ans que « les tableaux étaient imprimés
», il entame des études artistiques qui le mènent
à l’École de Zelezny-Brod cofondée
par le père de celle qui deviendra sa femme, Jaroslava
Brychtova. L’enseignement rigoureux comprend l’apprentissage
de la peinture, sculpture, du dessin et des techniques. Le
couple, qui ne peut voyager, se gave de culture artistique
internationale sans délaisser le tissu artisanal de
son terroir : la technique de la pâte de verre, utilisée
en Bohême pour la fabrication de bijoux ou de petits
objets. Le moulage de verre devient une passion, mais tout
est à faire.
Bonne pâte
En premier lieu, changer d’échelle. Sous l’impulsion
de Brychtova, passionnée de sculpture, le couple se
dirige rapidement vers le monumental et l’architecture.
Exposer à l’étranger dans la Tchécoslovaquie
d’alors relève de l’exploit, aussi le font-ils
par le biais d’expositions universelles internationales
afin de montrer leur production et rencontrer d’autres
artistes. L’Expo’58 à Bruxelles marque
le départ avec ses bulles de verre optique coulées
dans un mur en béton. Cette « décoration
architecturale » devient sous leur impulsion l’une
des premières traces de sculpture en verre. Dès
1955, Libensky – Brychtova se séparent du registre
décoratif et décident de traduire un message
propre, inédit dans le verre de l’époque.
Ils conçoivent la série des « Têtes
», puis celle des « Petits et grands contacts
», pâtes de verre figuratives empreintes d’expressionnisme
radical. Tout est déjà inscrit dans leurs premières
pièces : jeux de lumières, illusions optiques
servies par la profondeur du matériau, rigueur du dessin.
Abandonnant le figuratif, le couple s’engage dans la
recherche formelle géométrique, explorant inlassablement
les relations entre le cube et la sphère. Ces œuvres
partent d’un dessin rigoureux et intransigeant. Peu
à peu, ils acquièrent une renommée internationale
et leurs œuvres sont présentes dans les collections
nationales de nombreux pays.
Derrière le rideau de fer
L’Expo’67 internationale de Montréal, puis
celle d’Osaka en 1970 les révèlent comme
fondateurs d’une nouvelle école venue de l’Est,
alors même que le « Studio Glass Movement »
prend de l’ampleur aux États-Unis. Libensky mène
de front une carrière d’enseignant, d’abord
à l’École de Novy Bor et celle de Zelezny-Brod
dont il deviendra directeur, puis à l’École
Supérieure des Arts Décoratifs de Prague jusqu’en
1987. Il forme alors une nouvelle génération
d’artistes en confrontant la liberté créative
à une extrême exigence pédagogique technique.
Lors de chaque déplacement à l’étranger,
le professeur emmène les « books » de ses
protégés et les promeut souvent plus que lui-même.
Subtilement, il s’emploie à créer un pont
de verre enjambant le rideau de fer. Habilement, il compose
avec l’Art Centrum, administration qui gère l’art
tchécoslovaque, reversant les profits des ventes d’œuvres
à l’État. Les premières œuvres
du couple sont d’ailleurs toujours propriété
de l’État tchèque. À l’époque,
le seul luxe du couple est de pouvoir voyager à l’étranger
! Libensky ne quittera jamais son fief de Zelezny-Brod. Navigant
d’ateliers en ateliers dans cette province de Bohême,
il améliore sans cesse les possibilités de la
pâte de verre, bouleversant à chaque fois le
monde artisanal qui prévaut alors, ce qui lui vaut
de nombreuses séances d’explication avec les
administratifs.
Verre de velours
Après la révolution de velours de 1989, Libensky
abandonne peu à peu l’enseignement pour se consacrer
à son œuvre et aux rencontres dont celle, marquante,
de Dale Chihuly à Pilchuck aux États-Unis. Dans
la cave de sa modeste maison, il dessine au crayon les projets
de pièces. Puis Jaroslava Brychtova et lui supervisent
les étapes suivantes : confection du moule par les
ouvriers des ateliers, sortie du four, polissage et finition.
Lorsque qu’une couleur ou une forme n’est pas
exactement conforme à son désir, elle finit
à la poubelle. Environ six exemplaires de couleurs
différentes sont issus d’un moule avant sa destruction.
Dans ce processus, le couple fonctionne en symbiose. «
Madame Brychtova », comme la surnommait affectueusement
son mari, aime à dire : « Ma sculpture, c’est
sa peinture ». Au fil des années, l’œuvre
s’épure. Le spectateur se prend de plus en plus
au jeu de la profondeur. Cette pâte de verre semi-opaque
piège l’espace et la lumière qui l’entoure.
Quelques incursions vers le cristal transparent participent
à cet exercice d’ascèse géométrique
(témoin l’une de ses dernières pièces
présentée à St’art 2002 à
Strasbourg : une colonne géante de cubes de cristal
presque invisible).
Un réseau fidèle
La popularité de cette production n’a cessé
de grandir, notamment auprès des collectionneurs américains.
Libensky s’est tissé un réseau de galeristes
choisis pour leur professionnalisme : Clara Scremini à
Paris, Jean-Claude Chapelotte au Luxembourg ou Serge Lechaczinsky
à Biot...
Le galeriste Jean-Claude Chapelotte fréquente Libensky
depuis une dizaine d’années. Il participe activement
au développement de la « génération
Libensky » en exposant les artistes qu’il a formés.
« Lorsque j’exposais ses élèves,
il me donnait toujours une de ses pièces à présenter,
raconte-t-il. Sa plus grande fierté, ce n’était
pas les honneurs dans les musées, mais le fait d’avoir
engendré autant d’artistes compétitifs
». La vague de l’Est déferle aujourd’hui
sur l’Europe. Après Yan Zoritchak, Ales Vasicek,
Marian Karell, Gizela Sabokova, Yvan Mares, Jaromir Rybak,
déjà réputés internationalement,
d’autres apparaissent sur la scène du verre :
Jan Exnar, Marketa Silena, Ivana Sramkova… difficile
de les citer tous. La rigueur, mêlée d’ouverture
d’esprit, de l’enseignement du maître a
porté ses fruits : l’école diversifiée
du verre tchèque est aujourd’hui en plein essor.
Futur immédiat
Qu’adviendra-t-il de la production Libensky –
Brychtova ? « Lorsque je suis venu le voir récemment
à Zelezny-Brod, témoigne Jean-Claude Chapelotte,
il m’a montré une centaine de nouveaux dessins
de pièces. Il savait qu’il ne pourrait pas les
réaliser toutes. Ce sont des épreuves d’avenir,
a-t-il commenté. Ce qui évitera peut-être
une trop grande spéculation sur son œuvre après
sa disparition. Certains collectionneurs américains
sont fébriles : ils n’achetaient que des Libensky
! ».
Encore en devenir, surfant sur les vagues du temps désarmorçé
par le talent, l’œuvre de Libensky captivera encore
des générations de passionnés qui se
laisseront envoûter avec délectation. Tant qu’il
y aura de la lumière, bien sûr.
Par : T.B.
Source : Verre volume 8, N°1. Mars 2002
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