Artiste
Né en 1942 à Chantilly.
Vit et travaille dans le Sud de la France.
Œuvres uniques.
Techniques favorites
Casting.
Fait également de la céramique.
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Galerie
photos
Bernard Dejonghe
Fusion intégrale
Sculpteur des matériaux issus de la fusion, fréquente
le verre depuis plus dix ans. Un parcours initiatique méthodiquement
soutenu par une recherche personnelle des courbes de cuisson.
Cet artiste en marge des circuits traditionnels livre au public
des états de matière profondément marqués
par la géologie et le monde minéral, notamment
le désert où il aime souvent se recueillir.
Les flancs des « plissements de verre », chers
à Bernard Dejonghe, récitent leurs tirades crépitantes
d’éclats de lumière au gré des
éclaircies. Chacun les interprète à sa
manière : glace, feu, liquide, minéral. «
La technologie permet enfin de faire du verre qui n’est
pas transparent », ironise Bernard Dejonghe.
L’œuvre et l’auteur se ressemblent : directs,
francs, habités par cette simplicité qui renvoie
toute tentative d’étiquetage à son expéditeur.
Artiste? Dejonghe ne se dandine pas sur les circuits hermétiques
de l’art contemporain. Verrier? Autant concerné
par la céramique, il répond inexorablement :
« demande-t-on à Miles Davis s’il est trompettiste
ou musicien ? ». Sculpteur ? Certainement, mais également
voyageur souvent invité par le désert africain,
archéologue irrésistiblement attiré par
les écritures et les signes indéchiffrables.
Chercheur ? D’un monde intérieur : méthodiquement,
il s’acharne à provoquer par la cuisson certains
états de matière qu’il livre bruts à
la contemplation. Exclus de son univers : la verrerie confiserie,
le décor, le discours (qu’il appelle «
le baratin de l’art »), l’autosatisfaction,
les choses arrêtées, cernées. Vissés
dans son âme : la géologie, le minéral,
le désert, la cuisson, les amis, tels Antoine Labeyrie,
l’astrophysicien pour lequel il thermoforme des miroirs
de télescope ultra précis. Créateur entêté,
il poursuit la même trajectoire depuis sa sortie de
l’École des Métiers d’Art en 1965,
nullement dérouté par les soucis matériels,
son image médiatique ou la reconnaissance publique.
Dans son repère-atelier du Midi, il fallait bien trouver
quelques indices concrets...
L’atelier, temple de la fusion
Briançonnet, petit village accroché à
une vallée sauvage de l’arrière-pays niçois.
L’atelier de Bernard Dejonghe ressemble plutôt
à un laboratoire organisé autour d’un
four japonais traditionnel étagé sur trois niveaux.
Un autre four à bois, deux fours électriques
et une scie à verre géante complètent
l’équipement. Le hasard et le désordre
n’ont pas de place dans ce rapport intime avec la matière.
Seuls les matériaux ont le droit de parler, de raconter
l’épreuve de la cuisson. Bernard note inlassablement
dans des cahiers d’écolier les courbes de montée
et descente en température chiffrées par ordinateur.
Les pièces achevées et sélectionnées
sont soigneusement polies sur tranche pendant des heures.
Les flancs, eux, reçoivent l’impact du burin
dès leur démoulage. Les éclats de surface
se dispersent comme de la glace givrée sans que le
verre intérieur ne subisse le moindre dommage. Ce paradoxe,
qui ravit Dejonghe, est le fruit d’une longue recherche
sur la dévitrification, hantise des verriers puisque
considérée comme un accident de cuisson. Un
refroidissement très lent du verre s’opère
entre la fusion et le palier du recuit. Avec des verres riches
en silices, une couche de cristaux se forme entre la masse
et la paroi du moule. Il se crée une zone de tensions
mécaniques sur la surface qui peut alors s’effriter
sous le choc d’un outil. Le maître des lieux reste
modeste : « je ne fais que bricoler dans mon coin, dit-il,
c’est prétentieux de prétendre contrôler
la technique. Je ne cherche pas à mettre de l’ordre
dans le chaos, plutôt à comprendre les matériaux,
leur fusion, les regarder. »
La nature comme spectateur
Morceaux de matières impressionnés par l’homme,
comme les météorites par le frottement de l’atmosphère
ou les galets par la mer, ses pièces tombent des fours
et se montrent par familles. Depuis bientôt trente ans,
Dejonghe aime produire ses oeuvres par séries inaugurées
avec la première exposition des fameuses tortues en
céramique supportant « Trente états d’un
même rouge ». Une façon de prouver que
le chaos n’est pas un désordre, surtout dans
la nature.
En 1985, le créateur a posé quarante-neuf stèles
en céramique bleue sur l’Arpille pour tourner
un film 16 mm intitulé « Bleu Vertical ».
Puis, « l’Antenne », une barre de verre
de sept mètres de long, a fait escale entre deux expositions
sur les roches d’un plateau aride.
Formes intemporelles
Cette recherche intérieure intense du matériau
se heurte inéluctablement aux limites évocatrices
de la forme à la fois clé et piège. Premier
impératif : n’utiliser que des formes simples
et géométriques : triangles, cercles, demi-sphères.
Dans les déserts africains qu’il parcoure fréquemment,
Bernard Dejonghe a saisi des instants d’immortalité
qui ajoutent au vertige du passé celui du sens. Ses
« Meules dormantes » sont issues de pierres rondes
cylindriques intemporelles abandonnées dans le désert.
Ses colonnes de verre supportent des fantômes de temple.
Du verre aux étoiles
La rencontre de Bernard Dejonghe avec le verre remonte à
1984. Il croise alors l’artiste verrier américain
Howard Ben Tré, l’un des premiers à utiliser
les techniques de fusion en moule de la métallurgie
pour le verre. Aussitôt plongé dans une recherche
technique intense, il s’oriente vers la maîtrise
de technologies complexes, seules capables de restituer l’émotion
du monde minéral naturel. En 1989, il pose neuf colonnes
de verre sur l’aire du Rossignol en bordure de l’Autoroute
A6, dans le cadre de la politique culturelle de la SAPRR.
Puis viennent les « Meules vives ». Bernard participe
depuis aux expositions majeures sur le verre contemporain.
Récemment en 1994, il se retrouve aux côtés
de Ben Tré lors d’une exposition au Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Nice.
Comme un chercheur, Bernard Dejonghe cherche, tâtonne
et découvre. Il s’enflamme pour défendre
cette quête de l’irrationnel. « Les verriers
travaillent comme des kamikazes : il faut investir dans le
matériau, le matériel et une exposition se prépare
pendant un an! Mais le résultat est enrichissant, il
apporte plus d’énergie qu’il n’en
consomme. »
Solitaire entêté en marge des circuits traditionnels,
Bernard Dejonghe force le respect par sa volonté et
la constance de sa démarche. C’est le rôle
d’un artiste, et Bernard Dejonghe a pris sur ce terrain
quelques longueurs d’avance.
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