Artistes
Marisa : née en 1948 à Portogruaro (Italie).
Alain : né en 1945 à Crest (F).
Vivent et travaillent à Villetelle (Sud de
la France).
Contact
Bégou A.M.
Impasse des Capitelles
F-34400 Villetelle
Tél 00 33 4 67 86 84 04
Activité
Artistes
Techniques favorites
Soufflage
Décor à chaud, poudre et émaux
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Galerie
photos
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Duo
complice
Le couple Bégou est unique dans son unité et
dans ses différences. Non seulement Marisa et Alain
vivent ensemble depuis plus de trente ans -ce qui n'est pas
si simple - mais ils partagent quotidiennement le double et
redoutable enfantement de la création considérée
plutôt par la plupart des artistes comme un terrain
de rivalité et d'affrontement. Derrière la façade
imagée de ces grands vases en forme de stèles,
où signes ludiques et abstractions poétiques
relaient les états impressionnistes d'une nature fertile
en changements, les Bégou ont en commun sans doute
un secret : celui du talent.
On dit les Bégou. Marisa et Alain, ou l'inverse suivant
la notion de préséance attachée à
la création en commun d'un couple d'artistes. Peu importe,
l'œuvre des Bégou n'a pas d'équivalence
et pourrait se passer de signature sans rien perdre de son
identité. C'est le rare privilège des réels
talents. La sérénité de leurs grands
"vases" -totem ou stèles- porteurs de signes,
lacis, abstractions fugitives et fondus enchaînés
n'est qu'apparente. Sous le glacis parfait du verre fourmille
la vie, figée un court instant tel l'arrêt sur
image d'une bande vidéo. L'éternité est
là, qui en elle-même se change. Les saisons inventent
les paysages, la virtualité se charge d'émotions.
À retourner simplement la pièce, on peut s'offrir
un tour du monde. Vision macroscopique ou cosmographique,
le détournement d'échelle est à portée
de rêve et dévoile des espaces de plaisir où
chacun s'engloutit...
L'image paisible du couple surpris en veine de confidences
dans son jardin n'a rien d'anodin, c'est l'arc-en-ciel après
l'orage. Chaque matin, dans le vaste atelier installé
près de leur maison à Villetelle (5 km de Sommières)
Marisa et Alain vivent, en une heure et demie, les affres
d'une naissance. Une heure et demie, c'est le temps qu'il
faut pour engendrer une grande pièce selon le rituel
du soufflage n'accordant ni atermoiements, ni repentirs. Il
est banal de comparer les multiples allées et venues
du souffleur à une chorégraphie bien réglée.
Dans l'élaboration de ces lourdes pièces, décorées
à chaud et pesant parfois 17 kilos, c'est plutôt
de combat qu'il faudrait parler. Telles les figures des arts
martiaux, chaque phase de la danse comporte à la fois
l'évocation du risque et l'urgence de la décision.
Un petit degré de température en plus ou en
moins, un geste brusque ou inachevé et tout est à
jeter. Et comme la pièce à peine finie est mise
à recuire pendant dix-sept longues heures pour éliminer
les tensions internes du verre, le verdict est reporté
au lendemain....
Marisa et Alain ont les nerfs solides et sont organisés.
Elle décore et il souffle. Du moins, c'est ce qu'ils
disent pour réduire les explications. En réalité
une symbiose qui résiste à l'analyse et tient
du miracle les accompagne tout au long du processus. Celui-ci
démarre en réalité la veille du soufflage.
Dans une petite pièce attenante à l'atelier,
Marisa s'isole pour créer son décor, gardé
en tête jusqu'au moindre détail. Elle le compose
sur une plaque métallique entre les frontières
strictes d'un rectangle de 24 cm de haut sur 44 de long. Chaque
élément est minutieusement "dessiné"
à l'aide de poudres de verre mêlées à
des émaux. Les poudres sont maniées au pinceau
ou projetées à travers des caches... "C'est
infernal, admet-elle, quand je pose un cache, celui-ci enlève
parfois les couches précédentes. Mais malgré
tout je me régale, car le verre m'inspire. Je crois
que sur une page blanche je ne serais pas capable de dessiner
ou de peindre. Il y aurait trop de liberté. Confrontée
aux contraintes de la matière, j'ose construire".
"Marisa a aussi inventé un stylo pour dessiner
avec des poudres" précise Alain, un peu goguenard
mais, au fond de lui-même, totalement subjugué.
En principe, il n'a pas accès au décor que Marisa
concocte pendant des heures, voire un après-midi entier.
Il vient "après" pour pressentir et prévoir
le mode d'intégration à sa pièce.
L'application, le lendemain, est l'instant suprême.
À l’écart du four : une petite table.
Le décor est là, bien à plat sur sa plaque
métallique tenue chaude sous une rampe de chauffage.
À un moment précis que personne n'annonce mais
qui de toute évidence est le seul qui convienne, Marisa
tire la plaque et la présente en offrande au cylindre
en fusion qu'Alain tient au bout de la canne. D'un seul geste
rapide et léger, Alain roule le cylindre sur le décor
qui adhère instantanément. Chaque molécule
de poudre se transforme en soleil rouge pour s'intégrer
à la pièce comme si elle en avait toujours dépendu.
Bien que d'autres phases de cueillage, soufflage, et mise
en forme interviennent pour que la pièce acquière
son aspect définitif, c'est à ce moment-là
que tout est joué.
A la question : "Vous arrive-t-il de vous disputer au
sujet de l'un ou l'autre des décors", ils répondent
avec une franche unanimité et un grand éclat
de rire : "Oui, tous les jours".
"Quand il y a de la tension dans l'atelier, explique
Alain, et que Marisa choisit ce moment pour apporter des critiques,
je lui réponds souvent : "Moi je suis verrier,
toi tu es l'artiste. Alors hein ?..." C'est vrai que
ce n'est pas juste. Pendant le soufflage, elle me sert le
pontil et m'apporte le morceau de verre. Mais je ne veux pas
qu'elle en apprenne plus et devienne prisonnière de
la technique. Je préfère lui garde "l'œil"
libre pour la création. Alors quand elle me fait des
suggestions de décors, qu'il s'agisse d'introduire
des coquelicots impressionnistes ou un graphisme Zen, ma première
réaction est de lui dire : ce n'est pas possible. En
même temps, je cherche déjà la solution
pour y parvenir. J'aime me battre avec la matière,
la maîtriser, lui imposer ma volonté. Ensemble,
nous allons toujours plus loin".
Marisa raconte qu'elle a toujours eu des difficultés
à approcher la canne. Pas de femmes dans les verreries
: telle était la loi du verre, bien obsolète
aujourd'hui puisque dans les lieux de formation en France
et surtout à l'étranger, huit futurs verriers
sur dix sont des filles. Marisa a rongé son frein en
peignant... la soie peinte, car elle dessinait bien à
l'école. Son heure est arrivée quand Alain a
fondé son atelier en 1979 à Villetelle, après
avoir été chargé de l'entretien du matériel
et des fours de la verrerie de Biot jusqu'en 1973, puis apprenti-verrier
et souffleur d'utilitaire pendant cinq ans dans la Drôme,
à la Verrerie d'Allex.
"C'est le hasard, précise Marisa avec une pointe
d'accent ensoleillé. Il fallait bien quelqu'un pour
l'aider, le pôvre..."
Les deux autodidactes, qui possèdent des pièces
dans les grandes collections et les musées internationaux
tandis qu'ils exposent dans les meilleures galeries françaises
et étrangères, aiment à dire avec plus
d'humour que de naïveté "Nous sommes des
ouvriers". De la même façon le sculpteur
américain Alexandre Calder déclarait au pied
de ses stabiles géants : "Je suis un artisan".
Dans le domaine de l'art, il y a beaucoup d'oubliés
mais ceux qui se distinguent en dehors des circuits convenus
des Beaux-Arts, ont de bonnes raisons de l'être. À
ce titre, Yvonne Brunhammer, à l'époque conservateur
au Musée des Arts Décoratifs de Paris, pourrait
être considérée comme l'instrument du
destin. Préparant en 1982, la version française
de l'exposition New Glass organisée trois ans auparavant
par le Corning Museum of Glass, elle explorait le milieu encore
bien timide du verre national. Les Bégou lui envoyèrent
leur production de beaux pieds de lampe, en même temps
qu'une nouvelle pièce, quelque peu baroque, dont ils
n'étaient pas du tout sûrs. C'est celle-là,
bien entendu, qui fut exposée.
"Toute notre création, disent-ils, est partie
de là." Le Symposium de Sars-Poteries, la même
année, leur permit dans un climat d'échange
de côtoyer les grandes pointures venues des États-Unis
et du Japon. Les galeries les prirent dans leur collimateur
: "17 verriers français" à la Galerie
d'Amon et, en 1985, une première exposition solo à
la galerie Sarver qui a toujours suivi de très près
leur travail. D’autres galeries les présentent
régulièrement : Christel à Limoges ou
Place des Arts à Montpellier.
Le public, désormais, n'est plus à convaincre
même s'il regrette parfois la disparition de thèmes
figuratifs dans lesquels il reconnaît se aisément
: paysages marins, champs plantés à perte de
vue ou cerisiers en fleurs. Se défiant des couleurs
violentes, privilégiant les camaïeux de mousse,
de jade et d'or pâle, Marisa aborde actuellement un
monde plus secret de signes de symboles qui s'enfonce encore
plus profondément au cœur de la matière.
Alain guide ses pas dans cette nouvelle planète verre
où tout est à découvrir.
Colette Save
Source : La revue de la Céramique et du Verre
N°110, janvier-février 200O.
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